La France a connu cet été une période de sécheresse intense. Ces épisodes de sécheresse sont de plus en plus fréquents et débutent de plus en plus tôt chaque année, conduisant à des restrictions de l'usage de l'eau. De quels éléments dispose-t-on aujourd'hui pour qualifier cette sécheresse en Bourgogne-Franche-Comté ?
Aspects quantitatifs
Échange avec Erwan Le Barbu, Chef adjoint du département "hydrométrie et gestion quantitative" en charge de l'élaboration des bulletins sécheresse à la DREAL Bourgogne-Franche-Comté
Le régime des pluies
La région Bourgogne-Franche-Comté a connu une sécheresse printanière légère, très accentuée en juillet puis août, avec un déficit mensuel de précipitations de 90 % sur toute la région en juillet. Conjuguée aux températures exceptionnellement chaude, cela conduit à une évapotranspiration hors-norme (de près de 180 mm en juillet à Mâcon).
Rapport aux normales de l'humidité des sols au 1er août 2022
La situation s’est atténuée en région dès fin août par un retour des pluies par l’Est.
Hydrologie
Les rivières ont également connu une situation grave sur la période juillet-août, en raison de conditions chaudes et sèches précoces dès le mois d'avril puis mai, et surtout du déficit de pluie, sans connaitre les niveaux records de 2018 pour les rivières à l'Est de la Saône, et de 2019 à l'Ouest.
Sur l'Yonne, soutenue par le barrage de Pannecière, le niveau des étiages est moins critique que sur les autres cours d'eau.
Sur la Loire, la situation a été compliquée, avec une très faible recharge des barrages au printemps (les barrages sont vides en hiver, pour remplir leur fonction d'écrêtement des crues). En conséquence, les débits de la Loire ont été les plus bas connus depuis la régulation par le barrage de Villerest.
Les arrêtés sécheresse
Les restrictions d'usage de l'eau ont été légèrement moins étendues géographiquement qu'en 2018-2019 et 2020.
Surtout, la quasi-totalité de la région - à part les bassins du Beuvron et de la Vrille - est sortie du niveau "crise" dès la fin septembre (contre début décembre en 2018), ce qui fait de l'année 2022 une crise sécheresse intense mais assez courte.
Quelle tendance de fond sur les sécheresses et étiages ?
Les sécheresses importantes sont plus fréquentes.
Les débits de sécheresses rares (observées en moyenne 2 fois en 10 ans) sont désormais observés presque tous les 2 ans depuis 2015.
Nombre de sécheresses arrivant théoriquement en moyenne tous les 5 ans ou plus
survenues sur la période 2015-2021
Les sécheresses extrèmes deviennent une nouvelle norme : depuis 2015, les débits des sécheresses d'une année sur deux sont aussi bas que les sécheresses historiques (années 1976 et 2003).
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Impacts sur les milieux aquatiques
Echange avec Laurent Souchaud, Hydrobiologiste à l'OFB (Office Français de la Biodiversité) et Jean-Baptiste Fagot, ingénieur hydrobiologiste à la fédération du Jura pour la pêche et la protection du milieu aquatique.
Comment mesurez-vous les impacts de la sécheresse sur les cours d'eau ?
Laurent Souchaud : Notre méthodologie de prélèvement, qui nous demande de prélever avant les éventuels assecs, et notre sujet d'étude « les macro-invertébrés » ne révèlent pas forcément les impacts des sécheresses. Cependant, on peut distinguer deux types de problèmes : les bas niveaux d'eau et les assecs. Bien sûr les assecs vont supprimer en grande partie la vie aquatique, mais ils sont localisés, la plupart des invertébrés vont recoloniser la zone, grâce au courant et aux pontes des insectes adultes aériens. Cependant, certains peuvent disparaître, et ne revenir que difficilement, comme des mollusques, ou d'autres taxons peu mobiles qui font tout leur cycle vital dans l'eau. C'est un des moyens de mesure des assecs : la disparition de certains taxons. L'autre risque est le niveau bas du cours d'eau, plus bas qu'à l'accoutumée. Ceci tend à réduire les habitats sur les berges, augmenter la température de l'eau, diminuer l'oxygène présent, et concentrer les pollutions. Des développements algaux peuvent aussi être aggravés. Des étiages plus sévères et/ou plus répétés que ceux que la rivière à l'habitude de subir vont entraîner la disparition des taxons qui ne peuvent pas supporter ces conditions. Ceci est l'autre moyen de mesure que nous avons.
Jean-Baptispte Fagot : Les mesures sont variées :
- Observations directes et remontées d’informations en fédération grâce à un important réseau d’acteurs (espèces piscicoles observées, abondances relatives salmonidés, comportement et état sanitaire) ;
- Thermographie : identification des échauffements/froidières de manière spatialisée le long du continuum, et de l’intensité de ces échauffements ;
- Installation ponctuelle de capteurs thermographiques ;
- Participation à la démarche « En quête d’eau » ;
- Données télétransmises : installation/maintenance de dispositifs de mesure de température, hauteur d’eau et oxygénation ;
- Moissonnage de données de partenaires ;
- Prises de vues aériennes classiques et infra-rouge pour délimiter les secteurs à enjeux.
Quels sont les milieux aquatiques les plus sensibles à la sécheresse ?
LS : Principalement les petits milieux car ils sont plus facilement, plus rapidement, à sec ou très bas. Également les milieux anthropisés qui sont déconnectés de leur nappe, ou dont les nappes sont dégradées, ou exploitées. De manière générale, tous les milieux déjà impactés en dehors des sécheresses, car la réduction du débit aggravera les problèmes déjà présents : concentration des pollutions, désoxygénation, augmentation de la température par manque de ripisylve. Sans oublier les zones de barrage, à cause de la réduction de l'écoulement, qui va encore plus réchauffer l'eau en été.
S'agit-il de la principale pression physico-chimique qui s'exerce sur eux ?
LS : Certains milieux sont relativement exempts d'autres pressions, donc pour ceux-là c'est la principale menace. Pour d'autres (notamment les grands milieux) les pollutions et les dégradations sont déjà présentes, et c'est un facteur aggravant.
Quelle est l'ampleur de la sécheresse de 2022 par rapport aux précédentes années d'une part, et par rapport à une année "normale" ?
JBF : La sécheresse 2022 est pire que celle de 2003 (elle-même pire que celle de 2018) à notre sens dans le département du Jura, car la sécheresse de 2022 concernait aussi bien la plaine que le massif, alors que le massif était moins touché en 2003 du fait de perturbations orageuses. On ne parle donc pas de la comparaison avec une année ordinaire : 2022 constitue pour nous une référence au moins vicennale.
Quels sont les impacts constatés sur les milieux aquatiques ?
JBF : Nous constatons de très forts échauffements, des sur/sous-saturations en oxygène dissous parfois très importantes (> 10mg/L entre le jour et la nuit), une moindre dilution des polluants, etc. La sécheresse accentue les perturbations : un effet de valeur arbitraire 2 en temps normal sera dans le cas de 2022 avec un impact de 5 (moindre dilution, eaux chaudes, etc). Nous relevons également des mortalités directes (piscicoles, macroinvertébrés, etc) par manque ou absence d’eau et un affaiblissement des populations : stress, dénutrition, atteintes directes (exophtalmies, prédation facilitée, etc), dérangement, développement de pathogènes, etc.
Quelle est leur capacité de retour à la normale ? Certains impacts sont-ils pérennes ?
LS : Les assecs localisés sont impressionnants, mais ont assez peu de conséquences, pour la plupart des invertébrés, surtout sur les grands milieux. Par exemple les premiers assecs du Doubs vers Ville-du-Pont n'ont quasiment pas eu d'effet sur les populations l'année d'après. La rivière agit comme un tapis roulant qui apporte des organismes de l'amont. Cependant, cela reste une perte de biomasse, et engendre toutes les conséquences listées précédemment.
Une rivière en bon état sera résiliente (elle retrouvera son état initial stable), mais un milieu dégradé (au niveau des populations d'invertébrés, mais aussi au niveau des habitats) n'aura pas une résilience aussi importante. Il peut alors y avoir retour à un équilibre dans des conditions dégradées, soit en diversité, soit en abondance (soit les deux bien sûr). Dans le contexte de réchauffement, l'enjeu est crucial de conserver des milieux les plus fonctionnels possibles, capables de subir des sécheresses en se transformant et en atteignant des fonctionnements qui restent intéressants. Des écosystèmes trop fragiles vont cesser de fonctionner correctement, par exemple en engendrant des blooms algaux et des pertes de diversité et de richesse trop importantes, jusqu'à devenir réellement problématiques.
JBF : La capacité de résilience des milieux diminue au fil des épisodes exceptionnels qui deviennent la norme : 2017, 2018, 2020, 2022, etc. A priori les frayères à truites connaissent un faible taux d’occupation (le suivi sera quantifié cet hiver). Mais la reproduction post-2003 avait été exceptionnelle à l’époque, avec des truitelles en nombre très important : ce sont les suivis qui permettront de visualiser cela en 2023. On observe néanmoins un effet cliquet de marche, qui semble peu à peu difficilement réversible.
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